“Il faut montrer la photo de l'enfant syrien noyé”

Un garçon syrien de 3 ans gisant face contre terre sur une plage turque, un policier à ses côtés : le cliché a créé un choc alors que la crise des réfugiés s'aggrave. Une image qu'il est indispensable de diffuser malgré son caractère insoutenable, selon Dimitri Beck, rédacteur en chef de “Polka magazine”.


 « Si ces images incroyablement fortes du corps d’un enfant syrien échoué sur une plage ne changent pas l’attitude de l’Europe vis-à-vis des réfugiés, qu’est-ce qu’il faudra de plus ? » C’est la formule (électro)choc choisie par The Independent pour publier mercredi soir la photo de Nilüfer Demir, journaliste pour l’agence locale Dogan News, qui a revendu les photos à Reuters, AP et l'AFP. Sur le sable de Bodrum, éminente station balnéaire turque, Aylan, 3 ans, gît face contre terre, pris dans le ressac. Tout habillé, son petit corps légèrement gonflé comme une poupée de celluloïd. A ses côtés, un policier s’apprête à le soulever comme pour le soustraire à la vue du public.

Trop tard : diffusé lors de la traditionnelle projection nocturne au festival Visa pour l’image à Perpignan, l’insoutenable cliché a déjà provoqué des haut-le-cœur dans le monde entier. Alors que François Hollande vient de convoquer une réunion d’urgence pour évoquer le sort des réfugiés qui tambourinent désespérément aux portes de l’Europe, Dimitri Beck, rédacteur en chef de Polka Magazine (consacré au photojournalisme et créé par Alain Genestar, l'ancien directeur de la rédaction de Paris Match), nous éclaire sur l’impact de cette photo.

Depuis des mois, nous sommes quotidiennement exposés à des photos de migrants affluant sur des embarcations de fortune. Devant cette banalisation iconographique, pourquoi ce cliché revêt-il une importance toute particulière ?

D’abord, tout le monde est outré que l’image n’ait pas été immédiatement reprise dans les médias français. Elle s’est retrouvée à la « une » de tous les grands quotidiens en Europe, mais pas en France, pas tout de suite (même si Le Monde a depuis choisi de la publier, NDLR). Les journalistes se sont regardés entre eux et nos confrères européens nous ont mis face à nos contradictions. Les réseaux sociaux sont eux aussi venus rappeler aux médias traditionnels leurs manquements. La viralité peut nous jouer des tours, mais ici, elle est importante et nous incite à réagir plus rapidement. A la une des quotidiens ou des magazines français, on a vu des cadavres flotter, ce n’est malheureusement pas nouveau. Mais là où cette photo est extrêmement touchante, c’est qu’elle est surréalistiquement inacceptable : comment tolérer qu’un petit de 3 ans soit retrouvé gisant, rejeté par la mer, alors qu’il y a quelques jours encore, on entendait les rires des enfants au bord de l’eau ?

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